Numéro Sept mille trois cent
quatre vingt neuf
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Xeroderma Pigmentosum
Le Journal des
Frères Michon
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Hebdomadaire à parution
irrégulière fondé en 1846
En exclusivité internationale, Xeroderma
Pigmentosum, le journal des frères Michon, a l’immense honneur de vous
présenter votre nouveau feuilleton estival :
***
*
Du charleston à la sous-Préfecture.
°°° Nouvelle ruraliste à épisodes
proposée par G.
Lathynenfeu °°°
« Toutes ces histoires sont
tirées de faits réels ; afin de préserver l’anonymat des protagonistes,
des comédiens interprètent leurs rôles ».
Pierre Bellemare.
Chapitre Troisième : Monsieur le sous-préfet à son
bureau.
Depuis
déjà deux ans Brigitte était – sans
s’en être véritablement aperçue –
devenue
la maîtresse de monsieur le sous-préfet ; ce dernier
avait si adroitement
su envelopper sa séduction dans plusieurs épaisseurs plus
ou moins élaborées de
considérations d’ordre administratif, que la pauvre
secrétaire, d’un dévouement
sans pareil à la chose publique, avait cédé
moitié par amour, moitié par sens
du devoir. Depuis déjà deux ans s’était
instaurée une douce intimité entre le
fonctionnaire républicain et sa sténodactylo,
intimité qui n’était cependant
pas exclusive d’une certaine injustice dans la relation. Ainsi,
alors que
Brigitte percevait la moindre aigreur d’estomac ou le plus petit
retard dans
les dossiers administratifs du moment dans un simple regard de celui
qui
n’était que hiérarchiquement son supérieur,
celui-ci, d’un œil qu’on aurait pu
sans nul doute qualifier de bovin, ne parvenait jamais à
déceler les profondes
agitations qui, dans le cœur de sa secrétaire,
exerçaient leur puissance toute
intérieure. Ce matin-là, cette chère Brigitte se
trouvait dans un transport
d’une extrême ampleur.
Placée dans un coin sombre du bureau, ce coin qu’elle affectionnait tant pour
son exacte obscurité, Brigitte essuya quelques pleurs dans un mouchoir en tissu
blanc brodé de bleu et étouffa deux ou trois sanglots derrière son adorable
menotte. Atteint d’une surdité précoce ou feinte, le sous-préfet, qui venait de
s’asseoir devant son bureau, du plus pur style Louis – Philippe, eut cette
interjection cruelle :
« Tiens, on jappe !
J’avais pourtant demandé au gardien de les noyer, ses chiots ! ».
Ce fut trop pour une seule femme,
Brigitte éclata dans une effusion de sentiments qui donne à la gent féminine et
sa grâce et sa fragilité. Elle se leva, abandonna la rédaction de la circulaire
n° 4457 à l’attention des propriétaires de caniches et autres chiens de moins
de soixante quinze centimètres, s’empara avec assurance du dossier relatif à la
création de la nouvelle ligne de chemin de fer Saint Florent –
Rochechouart ; elle resta devant l’administrateur fixement, fixement elle
le regarda. Puis elle s’écria, d’une voix entrecoupée de sanglots :
« Monsieur le sous-préfet, le
secrétaire général vient de l’informer que le délégué aux transports de
l’arrondissement avait été eu vent de velléités sociales et syndicales
concernant les ouvriers de la ligne de chemin de fer Saint Florent –
Rochechouart ! ».
Le
dit sous-préfet ne souffla mot ; il retira ses lorgnons et les essuya sur
le coin de sa veste à cinquante pour cent de tergal et vingt cinq pour cent de
laine de moere. En un rien de temps les trois portes donnant sur le bureau
furent délicatement fermées de clef, les rideaux tirés enveloppèrent l’ancien
salon du fermier général dans une pénombre toute érotique, et le lit
cage, habilement habillé en placard à lambris dorés fut déplié, faisant
résonner les parquets à l’anglaise d’un son familier, un son langoureux et
doux. Cet homme ne comprenait décidément que le langage administratif,
mais Brigitte avait manifestement su l’apprivoiser.
Les
moulures du plafond se faisaient plus ondulantes leur courbure plus
harmonieuse ; la pendule sonnait déjà onze heures moins le quart sur la
cheminée en stuc située à l’autre bout de la pièce. On n’entendait que le
tapotement voluptueux des machines à écrire du secrétariat général situé à
droite du bureau, au bout du couloir à gauche. Brigitte aimait, enfin ;
elle aimait cet homme bourru et quelque peu insignifiant, elle aimait son air
satisfait et la frisure de ses modestes favoris. Allongée sur le dos, dans une
nudité toute angélique, cette femme qu’on aurait cru vénus frisait avec amour
les poils de moustache du polisson fonctionnaire, lequel en ronronnait de
plaisir.
Mais le tonnelier d’argent vint tout à coup frapper onze coups successifs sur
son tonneau de cuivre doré, et la comtoise afficha l’heure fatidique, celle de
la collation du sous-préfet ; il s’agissait là d’un léger remontant pour
la fin de matinée, ayant pour fin de « faire tenir » l’heureux
notable jusqu’au déjeuner qui invariablement avait lieu une heure et demi plus
tard, et lui permettre ainsi d’accomplir sa tâche avec toute l’efficace
sagacité que sa fonction exigeait de lui. Habillé en vitesse, cravaté comme il
se doit, ce dernier engouffra les tartines à la confitures et les abricots au
sirop que Brigitte lui apporta lestement sur une petite table roulante en
merisier, habilement dissimulée derrière de luxuriantes plantes grasses. Le
sous-préfet s’essuya avec son mouchoir de Cholet brodé main, embrassa sa
secrétaire d’un air bonhomme si ce n’est paterne ; celle-ci lui enfila son
pardessus marine à boutons dorés avec toute la douceur
de la femme heureuse. Chassant d’un regard furtif le moindre grain de poussière
venu ternir la casquette du même ton et ornée de feuilles de chêne, elle la lui
tendit sans longueur superflue et avec une affection non dissimulée. Elle se glissa enfin dans un blouson de cuir
brun moulant. Après avoir traversé les couloirs d’un air solennel, le sous-préfet
derrière et Brigitte devant, puis descendu l’escalier central de pierre
blanche, le sous-préfet devant et Brigitte derrière, l’un et l’autre sortirent
par la petite porte de la rue Coquineau, sous le
regard du portier empreint de vénération. Le vent fouettait leurs deux visages
avec rudesse. Nous étions à la fin de novembre.
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DANS DEUX NUMEROS :
NE MANQUEZ PAS LE QUATRIEME
EPISODE DE VOTRE FEUILLETON !!!
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