Numéro Sept mille trois cent quatre vingt sept

 

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Xeroderma Pigmentosum

 

Le Journal des Frères Michon

 

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Hebdomadaire à parution irrégulière fondé en 1846

 

En exclusivité internationale, Xeroderma Pigmentosum, le journal des frères Michon, a l’immense honneur de vous présenter votre nouveau feuilleton estival :

 

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Du charleston à la sous-Préfecture.

 

°°° Nouvelle ruraliste à épisodes proposée par G. Lathynenfeu °°°

 

 

 

« Toutes ces histoires sont tirées de faits réels ; afin de préserver l’anonymat des protagonistes, des comédiens interprètent leurs rôles ».

 

Pierre Bellemare.

 

 

 

Chapitre Deuxième : À la sous-préfecture, les matinées se suivent et se ressemblent.

 

     Les persiennes filtraient le petit matin blême et en découpaient des tranches fines et coupantes ; monsieur le sous-préfet se réveilla sur le coup de huit heures et demie, tourna son visage hors de la lumière livide, jouissant encore solitairement de l’obscurité d’une nuit déjà enfuie. Puis, lentement, il commença à repousser et les couvertures et l’édredon en direction du pied de lit, magnifique meuble de style Second Empire avec moulures aux pieds ; rencontrant la descente de lit en peau de léopard, offerte par un ancien camarade de l’Ecole coloniale devenu Résident général en Indochine, l’extrémité de son membre inférieur gauche sentit, non sans un léger frisson, une douceur glacée. Enfin, il se tira totalement de son sommeil et de ses draps, se leva, comme à son habitude, avec une brusquerie qu’on ne lui connaissait pas, et qu’il ne pratiquait en réalité qu’à son réveil.

       Sa liquette blanche brodée de fil crème au niveau de l’encolure lui descendait jusqu’au mollet qu’il avait encore ferme et bien fait, alors que sa cuisse était assez frêle. La peau de ses membres inférieurs, la seule qui fut alors découverte, était d’une certaine pâleur, et laissait transparaître un réseau étroit de veines bleutées. Ses pieds se distinguaient en cela que les ongles de leurs multiples orteils faisaient l’objet d’un soin rare et méticuleux. Ils se glissèrent tels des reptiles dans deux mules à proximité du bois de lit, et une énergique flexion des genoux eut pour conséquence de mettre l’honorable fonctionnaire debout sur ses deux jambes.

      Il commença par ouvrir les volets de la fenêtre, ce qui ne fut possible qu’après avoir tiré le double rideau le long de sa tringle, par deux petits mouvements secs, aux deux extrémités de celle-ci. Sa main glacée rencontra alors la poignée glacée. Le souffle froid de novembre pénétrant se faufila la chambre au travers de la mince et furtive fente laissée par monsieur le sous-préfet au moment de l’ouverture des volets de métal. Celle-ci laissa s’épanouir une lumière blanchâtre, un jour gris, s’établissant par portions rectangulaires dans la pièce hexagonale. Les rideaux ajourés, se mettant de nouveau en place dans un mouvement quasi mécanique, un voile s’ajouta à la brume et aux nuages entre le soleil et le regard.

      Monsieur le sous-préfet se dirigea avec l’assurance que donne l’habitude vers le cabinet de toilette afin de mener rondement ses quotidiennes ablutions. Il passa sa main sous un filet d’eau froide puis dans sa chevelure qu’il avait encore abondante quoi que grisonnante au niveau des tempes. Ce léger mouvement permettait du même coup d’esquisser une première partition des cheveux et de rafraîchir agréablement la gomina qui la veille avait fini, comme toutes les autres veilles, par sécher sur son crâne. Monsieur le sous-préfet est économe.

      Un miroir déteint et piqué, encadré comme on ne le fait plus, dans une masse de dorures cuivrées lui renvoya son reflet flou et passé, mais suffisant pour l’assurer de la justesse de sa coiffure. Il dirigea son bras gauche vers la commode Louis XVI sans même appuyer le mouvement par le regard, et saisit le peigne en corne brune translucide qui faisait des ovales concentriques d’une couleur de plus en plus diluée. D’un geste, et d’un seul, il passa le peigne, et rétablit l’harmonie de l’ondulation, dans ce que certaines administrées apparentaient, dans une virile métaphore, à une léonine crinière. Il n’oublia pas sa fine moustache, elle aussi tirant sur le gris, objet de toutes ses attentions, qu’il lissa avec soin avant d’en faire friser les deux extrêmes, un peu à la mode de l’Empire.    

      Sur le valet, la chemise de la veille, d’une blancheur immaculée, se tenait, admirablement raidie et amidonnée au col ; Monsieur le sous-préfet s’en saisit, l’enfila, et la boutonna méticuleusement ; il se baissa en suite au niveau du premier tiroir de la commode en partant du bas, qu’il ouvrit avec délicatesse car le meuble était branlant, y prit une paire de mi-bas pure laine de moere, le temps venait de tourner au froid. Avec une habileté qui n’avait pas son égard dans toute la ville il les glissa avec élégance autour de la partie inférieure de ses jambes. Des mêmes gestes à la fois amples et assurés, il revêtit un pantalon à quarante cinq pour cent de tergal anthracite, un gilet d’une couleur similaire, et son veston auquel était brodé ce qu’il considérait comme la décoration suprême, sa rosette garance. Soucieux d’une bonne correspondance entre les tons de l’habit et d'une complémentarité entre les Empereurs, selon l’ancienne élégance à la française, il opta pour une cravate Magenta qu’il noua avec grand soin – mais non sans quelque difficulté – à son cou. Il ajusta enfin l’habit, en épousseta machinalement la partie supérieure, puis se dirigea de nouveau vers la chambre.

      Sur un guéridon d’acajou dont on voyait qu’il avait servi, le déjeuner du respectable serviteur de la République était subrepticement arrivé : le plateau d’argent de Rochechouart, dont la brillance n’était plus qu’un lointain souvenir, était garni comme à l’accoutumée de diverses brioches et d’un grand verre de lait, lesquels furent engloutis en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le sous-préfet – chose rare – ne prenant même pas la peine de s’asseoir. C’est en achevant de s’essuyer les commissures avec l’extrémité de son mouchoir de Cholet qu’il entrouvrit une seconde porte, qui n’était autre que celle de son bureau dans lequel il se faufila. Il était neuf heures moins cinq.

      Assise à son secrétaire, le dos tourné à la fenêtre, rédigeant quelques notes destinées aux services de voirie de la sous-préfecture, Brigitte ne pu réprimer un léger sursaut à la vue du fonctionnaire…

 

 

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DANS DEUX NUMEROS :

NE MANQUEZ PAS LE TROISIEME EPISODE DE VOTRE FEUILLETON !!!

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