Numéro Sept mille trois cent quatre vingt cinq

 

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Xeroderma Pigmentosum

 

Le Journal des Frères Michon

 

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Hebdomadaire à parution irrégulière fondé en 1846

 

En exclusivité internationale, Xeroderma Pigmentosum, le journal des frères Michon, a l’immense honneur de vous présenter votre nouveau feuilleton estival :

 

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Du charleston à la sous-Préfecture.

 

°°° Nouvelle ruraliste à épisodes proposée par G. Lathynenfeu °°°

 

 

 

« Toutes ces histoires sont tirées de faits réels ; afin de préserver l’anonymat des protagonistes, des comédiens interprètent leurs rôles ».

 

Pierre Bellemare.

 

 

 

Chapitre Premier : au bal de la sous-préfecture, Monsieur de Congrauçy n’y était pas…

 

 

Au travers de l’air glacé de novembre et de la troisième fenêtre en partant de la gauche du Salon d’honneur de la sous-préfecture, donnant sur la rue Léon Gambetta, voie sinueuse et étroite par laquelle ne passent que quelques baudets titubants et quelques vieillards voûtés, s’échappaient ce soir là des chapelets de notes stridentes et sèches, des sons dont on aurait dit qu’ils étaient saisissables tant leur netteté semblait matérielle. Elles sortaient toutes ensemble, recouvrant un brouhaha sourd, lequel s’apparentait d’avantage à une matière liquide tant il était inarticulé. Ce brouhaha, c’était celui des invités que monsieur le sous-préfet avaient ce soir-là conviés en ses appartements, à l’occasion de l’anniversaire de l’armistice. Ces notes, c’étaient celles de l’orchestre municipal de charleston, formé à l’instigation de Monsieur le Maire, grand amateur de musique, avec les membres les plus volontaires et les plus éminents de la non moins municipale fanfare ; ce qui peut en expliquer, au demeurant, la solennité quasi militaire et la syncope pour le moins approximative.

      Aux teintes grises et bleutées de la nuit répondaient admirablement celles de l’uniforme sous – préfectoral, admirablement repassé, impeccable en tout point, et dont les galons dorés rendaient le bâtiment un peu plus comparable à une étoile dans un océan d’obscurité. Car il faut bien vous avouer que, ce 11 novembre ci, monsieur le sous-préfet rayonnait de mille feux.

 

      «  L’on vit rarement un bal de la Victoire si bien réussi » glissa Madame Folantreu à sa voisine, Mme de Forages, après avoir englouti une assiette de petits fours au reblochon et avant de se  siffler au nez et à la barbe de tous les invités une coupe de pétillant. « Il est vrai que notre administration sait dénicher les bons fournisseurs – et Dieu sait si j’ai connu des administrations ! »

      « Ce que j’admire le plus, répondit l’autre, ce sont les lambris sous – préfectoraux ; quelle élégance, quelle classe ! ».

      Et tout un chacun allait doucement, tous les notables de cette bonne ville étaient ainsi réussis, papillonnant du buffet à l’orchestre, esquissant à l’occasion quelques pas de cette danse moderne et incompréhensible, tout en regrettant, tacitement cela va sans dire, le temps des bons vieux quadrilles. Tel un roi en sa cour, Monsieur le sous-préfet allait de droite et de gauche, ménageait chacun de ses convives et non moins administrés, avait un mot aimable pour toutes et pour tous.

      « Epouvantables les nouveaux lampadaires de la rue Coquineau, j’en parlerai à mon supérieur ! » « Epoustouflants les travaux de l’avenue Boisonnade, les travaux publics sont vraiment saisissants ! » ; « La France va certes mal, mais une chose est sûre, c’est que ce n’est pas de notre faute ! ». de telles réparties avaient tôt fait sa réputation de beau parleur et en avaient fait l’égal de feu Monsieur de Grosmoutier, le roi du calambour et du contrepet, disparu l’année précédente à l’âge de quatre-vingt-sept ans, figure irremplaçable des Salons et des dîners mondains. Si monsieur le sous-préfet ne maniait pas l’art du mot d’esprit, du moins avait-il des tournures et des injonctions qui rappelaient à ses inconsolables administrés la figure tutélaire de Monsieur de Grosmoutier.

 

      Une seule personne semblait pourtant ne pas s’amuser : il s’agissait de Brigitte, secrétaire personnelle du sous-préfet, qui regardait au travers des carreaux embués de sept centimètres sur cinq, avec l’œil mélancolique de la sardine au fond de la boîte (de sardines). Brigitte n’aimait pas les bals sous-préfectoraux.

      Ceci passa néanmoins inaperçu pour tous les convives, tous exceptés le sous-préfet en personne, qui eut un pincement au cœur en voyant la pauvre fonctionnaire de la République dans un manifeste désarroi, alors que l’attitude la plus conforme aux coutumes et au devoir administratif aurait été, si ce n’est de s’amuser réellement, du moins de feindre la complaisance. Monsieur le sous-préfet était soucieux des devoirs de son Corps et de son administration dans son ensemble ; il voyait en elle plus que la représentante de l’Etat, la garante de la continuité nationale : celle qui se devait de succéder à l’ancienne aristocratie mondaine, laquelle était alors moribonde.

Il tourna ensuite la tête en direction de ses convives, et pu ainsi observer les trois salons en enfilade au travers des grandes portes à battants qui étaient exceptionnellement tous deux ouverts ; il leva son auguste céphalée vers les moulures du plafond, puis dirigea son regard vers les dorures de la partie supérieure du mur d’angle, lequel tomba tout naturellement sur le portrait un peu passé du Président Fallières.

      Ce regard ne savait alors qu’il était l’objet d’au moins deux autres….

 

 

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DANS DEUX NUMEROS :

NE MANQUEZ PAS LE SECOND EPISODE DE VOTRE FEUILLETON !!!

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